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Association Amicale des Anciens Internes en Médecine des Hôpitaux de Paris

Charles RICHET (1850-1935)

Charles RICHET

 

En 1913, le prix Nobel de médecine a été attribué à Charles Richet (1850-1935) pour la découverte, en 1902, de l'anaphylaxie. Claude Richet, professeur de physiologie à la faculté, a été nommé interne en 1872. Ses mémoires inédits mentionnent avec émotion son Internat et sa vie en salle de garde. Les services où il fut en fonction furent ceux de L. Lefort (1852), à l'ancien hôpital Beaujon (aujourd'hui annexe de la Préfecture de police), de A. Richet (1839),
à l'Hôtel-Dieu, de Moreau de Tours, à la Salpêtrière, et de A. Verneuil (1843), à la Pitié. C'est encore chez deux anciens internes que débuta sa vie de chercheur, chez le zoologiste De Lacaze-Duthiers (1846) et chez J. Marey (1854), alors professeur au Collège de France. Le texte ci-dessous, relatant la découverte de l'anaphylaxie, a été publié dans les Compte-Rendus de l'Académie des sciences, Elsevier, Série III (1998), tome 321-n) 4, 261-164. Nous remercions la rédaction des C.R.A.S. de nous avoir autorisé à le reproduire.

Albert Ier de Monaco était passionné de biologie marine et menait une croisière scientifique annuelle sur la Princesse-Alice, son yacht-laboratoire. En 1901 y participaient Paul Portier (1866-1962), zoologiste connu, assistant à la Sorbonne d'Albert Dastre (1844-1917), et Charles Richet (1850-1935), professeur de physiologie à la faculté de médecine et ancien interne des hôpitaux de Paris.

Au large des îles du Cap Vert, Albert Ier attira leur attention sur la toxicité des filaments pêcheurs des physalies, une espèce de méduses, leur suggérant de l'étudier. D'où cette note aux comptes rendus de l'Académie des sciences du 27 janvier 1902 sur une hypnotoxine, appellation d'approche du facteur toxique de ces structures " sidérant " le système nerveux central des proies venues à leur contact et provoquant une urticaire chez l'homme.
Le 15 février 1902, ils publient à la Société de biologie sur le même toxique. Le titre De l'action anaphylactique de certains venins, ne relie pas cette note à la précédente. Le travail ne porte plus sur l'empoissonnement lui-même mais sur la réponse inattendue, à l'injection de venin. La première phrase le précise ; " Nous appelons anaphylactique (contraire à la phylaxie) la propriété dont est doué un venin de diminuer au lieu de renforcer l'immunité quand il est injecté à dose non mortelle. Il est possible que beaucoup de venins (ou de toxines) soient dans ce cas ; mais comme on s'est attaché surtout à leur action prophylactique ou vaccinante, on a fort peu cherché encore à les étudier à ce point de vue. "

Entre deux notes

Que s'est-il passé pendant les 196 jours qui séparent les deux notes ? La provision de physalies tropicales épuisée pour la toxicologie, ils eurent recours à des lois d'origine diverses d'un autre cœlentéré, l'actinie, courante sur nos côtes et connue pour son effet urticant. La toxicité des lots une fois étalonnée, la préparation était injectée à dose voulue avec l'idée d'obtenir une vaccination. N'était-on pas à l'ère des sérums antitoxiques qui transformaient la médecine ? Immuniser contre le poison des actinies pouvait fournir un bon outil expérimental.
La plupart des expériences furent pratiquées sur des chiens. Chez les témoins, 28 reçurent moins de 0,15 ml par kilo ; quatre seulement sont morts 5 à 8 jours après. Quant aux huit chiens ayant reçu plus de 0,15 ml par kilo, trois moururent dans un délai de 4 à 8 jours. Dans la série expérimentale, le résultat est autre : " mais si, au lieu d'injecter des chiens normaux, on injecte des chiens ayant reçu deux ou trois semaines auparavant une dose non mortelle, des doses de 0,08 à 0,25 deviennent rapidement mortelles, ce qui démontre l'effet anaphylactique de la première injection. "

Suit la liste des huit expériences. L'injection préparante a été de 0,06 à 0,25 ml par kilo, administrée de 14 à 23 jours auparavant, et l'injection déclenchante de 0,10 à 0,25 ml par kilo. Sept chiens meurent en moins de 2 heures, le huitième " dans la nuit " (Société de biologie, 15 février 1902, p. 171-2).
Enfin si l'injection seconde " est faite peu de jours après la première, l'animal se comporte comme un animal normal ".
Paul Portier, dans l'article qu'il a publié dans la Presse médicale du 10 mai 1952 (p. 279-80) pour le cinquantenaire de l'anaphylaxie, décrit le chemin de la découverte. Tout d'abord le fait brutal, paradoxal : des animaux qui auraient été vaccinés mouraient lorsqu'ils recevaient des doses qu'ils auraient dû bien supporter. Furent écartées les erreurs du protocole, une confusion entre les animaux " immunisés " et les témoins " neufs " ou encore une transcription fautive sur le cahier d'expérience. Donc les animaux " immunisés " étaient " sensibilisés " - association alors sacrilège. Mais ils ne l'étaient pas tous, et Portier écrit : " à force de tâtonnements et en confrontant nos nombreuses expériences, il nous apparut que les animaux vraiment " sensibilisés " étaient ceux chez lesquels la durée qui séparait l'injection préparante de l'injection d'épreuve était assez longue. "

Où il est question de Neptune

Paul Portier rapporte en détail le cas du chien Neptune (10 février) tel qu'il est consigné dans le cahier de laboratoire n° 2 où alternent les deux écritures, la sienne, serrée et fine, ainsi que celle ample et large de Charles Richet. Voici le récit de Paul Portier : " Neptune (nom bien océanographique) reçoit le 14 janvier une faible dose de toxine (0,05 ml par kilo). Une heure après, il se promène, alerte, dans le laboratoire. Le 17 janvier, donc 3 jours après, on lui injecte à nouveau 0,10 ml (de la toxine) par kilo. Il réagit peu et le 18 il est en parfaite santé. Le 10 février, donc 27 jours après la première injection préparante, le chien est gai et alerte. À 14 heures, nous lui injectons 0,12 ml de toxine par kilo. C'est là une dose non mortelle et cependant nous assistons immédiatement à des accidents dramatiques. Vomissements, défécations, tremblements. Le chien tombe sur le flan, il a perdu toute sensibilité ; une demi-heure après, il est mort. Ce chien s'est véritablement écroulé sous l'influence de cette injection qui n'aurait amené chez un chien neuf que quelques démangeaisons ou quelques crises d'éternuement. "
Paul Portier raconte ensuite comment le terme d'anaphylaxie a remplacé celui de sensibilisation. Le phénomène bien établi, " M. Richet me proposa de le baptiser. J'avoue que je n'en voyais pas l'utilité… Évidemment, me dit M. Richet, vous avez raison si le phénomène que nous venons de découvrir n'est qu'une curieuse exception ; mais s'il se présente une certaine généralité, il faut un mot pour le désigner. " En grec " Immunité ", " protection " se dit phylaxis (pylaxis). Charles Richet proposa donc d'abord de le précéder d'un a-privatif puis il préféra pour raison d'euphonie le préfixe ana-, d'où anaphylaxie.
Le 17 mai de la même année, P. Portier et Charles Richet précisent à la Société de biologie la persistance de l'état anaphylactique pendant au moins quatre mois et suggérèrent sans le démontrer que les animaux ayant survécu à une injection déclenchante sont immunisés.

La reconnaissance tarde

Cette note ne suscita pas plus d'intérêt que la précédente, ne soulevant même pas une contestation. L'anaphylaxie semblait enterrée.
Cependant Charles Richet, depuis qu'il a observé la mort de Neptune, est convaincu de la place de l'anaphylaxie en biomédecine. Il avait écrit à Albert Ier de Monaco le 12 février 1902, deux jours après l'expérience Neptune pour annoncer la découverte de " l'anaphylaxie, soit le contraire de la vaccination, c'est-à-dire l'extrême sensibilisation de l'animal par le biais de petites doses antérieures de ce même poison. " (Fonds C. Richet, Académie nationale de médecine, origine : Archives du musée océanographique, Monaco). Charles Richet conceptualisait donc déjà dans les premiers résultats. Il poursuivit ensuite seul, P. Portier étant retourné à la Sorbonne. L'exposé de travail de Charles Richet de 1904 fait état de six notes sur l'anaphylaxie, portant toutes sur la purification, et la cristallisation de divers poisons et d'un important article dans Archivo du fisiologia en janvier 1904 (1,2, 129-141) : " De l'anaphylaxie ou sensibilité croissante des organismes à des doses croissantes de poison. "

Mais, peu à peu, l'anaphylaxie fait son chemin

Tout changea ensuite très vite. Le premier écho expérimental est du 16 juin 1903, à la filiale de Marseille de la Société de biologie (p. 817-820). Maurice Arthus (1862-1945) publie sa note initiale sur le phénomène local qui porte son nom, lésions de nécrose par injections sous-cutanées itératives de sérum de cheval et mort rapide si l'on passe à une injection intraveineuse, tous accidents qu'il rattache à l'anaphylaxie (sic). Le fait d'intérêt majeur, scientifique et historique, est que la substance injectée aux lapins n'est plus un poison mais du sérum de cheval ou du lait dégraissé et stérilisé, protéines réputées non toxiques. Ces phénomènes ne sont pas propres au lapin ; ils sont aussi observés chez le cobaye et le rat. Enfin, il rattache à l'anaphylaxie les accidents des traitements par sérums de cheval antitoxiques.
Dans ses mémoires inédits, Charles Richet souligne l'influence décisive qu'eut cette communication. Elle établissait un lien entre l'anaphylaxie expérimentale et des cas cliniques telle la description de la maladie du sérum (Serumkrankheit) en 1905 par C.V. Pirquet (1874-1929) et B. Schick (1877-1967). En plus des confirmations, s'ajoutèrent la différence d'expression clinique de l'anaphylaxie selon les espèces animales (Arthus, 1909) ; la sensibilisation du cobaye avec un cent millième de millimètre de sérum de cheval (M.J. Rosenau et J.-F. Anderson, 1907) ; la spécificité exquise de la réponse anaphylactique permettant d'identifier l'espèce ayant donné le sérum de l'injection préparante (P. Lilhenhuth et Haendel, 1909) ; la séparation de l'anaphylaxie des accidents cliniquement proches dus aux anaphylatoxines hypotensives (1910) d'E. Friedberger libérées dans d'autres circonstances comme l'injection de peptones (A. Biedl et R. Krauss, 1910) et qui sont les C3a et C5a ; l'antianaphylaxie (A. Besredka et E. Steinhardt, 1907) ; enfin l'anaphylaxie in vitro (C. Richet, 1909) ainsi que la possibilité de réaliser une anaphylaxie passive expérimentalement si utile (C. Richet, M. Nicolle, 1907).
Depuis, l'anaphylaxie a été l'objet d'études multiples. La mutation brusque qui a fait comprendre son mécanisme intervient avec les travaux de W.H. Schuitz (1873-1947), en 1910, et de H. H. Dale (1875-1968), en 1911. Ceux-ci ont montré respectivement le rôle de la fixation des anticorps sur les organes cibles et celui des médiateurs chimiques, dont l'histamine, libérés des cellules après l'injection déchaînante.

OU PAUL PORTIER oppose deux types de découverte

Trois remarques pour terminer :
Il est difficile de cibler à l'avance une recherche biologique. L'anaphylaxie a été découverte au cours d'une étude de toxicité, domaine de prédilection de C. Richet, physiologiste pur et dur avant d'être attiré par le versant pathologique et thérapeutique de sa discipline. Le phénomène d'Arthus l'a été au cours d'expériences destinées à préparer un sérum spécifique antisérum de cheval pour suivre le sort de celui-ci après l'injection dans un organisme étranger.
La deuxième remarque, complétant la précédente, est tirée de la fin de l'article de 1952 de Paul Portier qui oppose deux types de découvertes. Les unes sont l'aboutissement d'un plan précis dicté par la méthode analytique, principale base du progrès biologique. Les autres ont pour point de départ une surprise au cours d'une expérience ayant une tout autre orientation. Elles dépendent de l'étonnement suscité et des implications originales tirées. Encore faut-il que le fait inattendu se produise devant des yeux capables de le saisir, de l'analyser et de le comprendre. " Telle fut, dit-il, la découverte de l'anaphylaxie. " C'est une découverte, bien que le fait brut ait déjà été observé. Charles Richet cite, au début de L'Anaphylaxie (Alcan, Paris, 1911, 290 pages), des cas de sensibilité croissante rapportés par Magendie en 1839, par Berhing et par Koch en 1893 ainsi que par Courmont à Lyon en 1901, mais sans déceler qu'ils révélaient un processus général.

La dernière remarque est d'un tout autre ordre. Les premières notes à l'Académie des sciences et à la Société de biologie sont signées de Paul Portier et Charles Richet. Prenant à la lettre l'ordre de représentation des auteurs, C.D. May (" The Ancestry of Allergy " in The Journal of Allergy and Clinical Immunology 75 (1985) 485-495) suggère que Charles Richet a joué un rôle mineur dans la découverte de l'anaphylaxie. Méprise pour nombre de raisons : l'habitude de Charles Richet de respecter l'ordre alphabétique des auteurs dans ses publications ; le cahier d'expérience, tenu certes par le plus jeune selon l'usage, mais portant les deux écritures ; la lettre du 12 février au Prince de Monaco citée plus haut ; les travaux sur le sujet, postérieurs à 1902 où Paul Portier n'est plus auteur ; l'article de Paul Portier pour le cinquantenaire de l'anaphylaxie en 1952 et la thèse de médecine de son petit-fils B. Massé, " Paul Jules Portier, sa vie, son œuvre " (Paris, 1969). Pourquoi introduire un contentieux dans une collaboration entre les deux savants ? Les circonstances les ont réunis et une question leur a été soumise au cours de leur expérimentation. Ils l'ont étudiée et ensemble, surpris par des résultats à première vue incohérents, ont mené à son terme une découverte. Celle-ci effectuée, chacun a repris son orientation. Leur séparation est-elle une raison suffisante pour soupçonner un litige et une injustice de l'histoire ?
La découverte de l'anaphylaxie a pris une place dans l'histoire de la biologie et de la médecine car, en pleine explosion elle a révélé que le processus immunitaire pouvait être aussi pathogène. L'anaphylaxie fut l'étape initiale d'un nouveau pan de la pathologie qui, depuis un siècle, ne cesse de se développer.
Parmi les lettres reçues par Charles Richet à l'attribution du prix Nobel 1913, celle de Paul Portier annonce son élection très attendue, à l'Académie des sciences :

Fontenay aux Roses,
12, rue du jardin
le 31 octobre 1913

Mon cher Maître,

J'apprends à l'instant, avec une très grande joie, que le prix Nobel vient de vous être décerné. Vos élèves et vos amis n'ont pas attendu cette consécration officielle pour admirer vos belles découvertes, mais je me réjouis de la voir se produire si bien à point pour dissiper cette " cécité psychique " de ceux Qui ont mis longtemps à vous rendre justice.
Vous allez entrer à l'unanimité à l'Institut et je me réjouis d'avance de ce nouveau triomphe.

(Archives personnelles de l'auteur.)

L'épopée finit donc là où elle avait débuté : à l'Académie des sciences devant qui avait été présentée la première note menant à l'anaphylaxie.

Gabriel Richet
Promotion 1939
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