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Association Amicale des Anciens Internes en Médecine des Hôpitaux de Paris

Lucien LEGER

Lucien LEGER

Lorsqu'une velléité de réforme des études médicales apparaît, il est habituel que la suppression de l'Internat ou son nivellement soient envisagés. L'Internat des Hôpitaux de Paris, à l'analyse objective, offre pourtant un mode de formation exceptionnel : une préparation conférant aux étudiants, vers la fin de leur scolarité à la Faculté, un éventail pluridisciplinaire de connaissances, une sélection retenant les plus aptes, actuellement sans excès, et une formation pratique guidée par le compagnonnage de Maîtres divers par la spécialisation et les modalités d'exercice clinique et scientifique, dans des sites variés par leur recrutement, dans une ville aux ressources étendues.
Parmi ses défenseurs, Lucien Léger est l'un de ceux qui en a recueilli la diversité et en a développé les fruits par des dons hors du commun, dans une carrière exceptionnelle. Il a illustré l'Internat au plus haut degré : hommage lui est rendu.

La vie et la carrière

C'est à Bastia, le 29 août 1912, que Lucien Léger naquit, au cours d'un bref séjour que fit sa famille en Corse, loin de son origine guadeloupéenne. Peu après, son père, Marcel Léger, médecin biologiste qui s'illustra par ses travaux sur la lèpre, la leishmaniose, la trypanosomiase, fut appelé à la direction de l'Institut Pasteur de Dakar. Dès ses premières années d'études, le jeune Lucien fit apparâitre une rapidité d'acquisition inhabituelle. Arrivé en classe de 4e en 1923 au Lycée Henri IV, dépourvu de formation initiale gréco-latine (absente à Dakar), il fut en quelques mois, dans ce temple des Lettres classiques, au niveau des meilleurs de ses condisciples. Le cursus à la Faculté de Médecine ne démentit pas ces prémices : à tous les examens, quelle que soit la matière, ce fut la note maximale, 10/10 !
La nomination à l'Internat, dès le premier Concours, en 1933, était dans la même ligne, avec cependant une grave péripétie : il dut passer deux fois l'écrit, parce que le concours fut cassé. Drame exceptionnel, lié à de déplorables effractions de l'anonymat dont certains, notamment des lecteurs, s'étaient rendus coupables. Il fut nommé 13e, entouré de Seringe, Gracianski, Siguier, Bour, Benassy, de notre ancien Président Fasquelle, de Domart, Bouvrain, de Faulong, son ancien condisciple du Lycée Henri IV, de Thieffry, etc.. .
La mention de ses Maîtres de l'Internat mérite l'attention. On y trouve le germe de beaucoup d'aspects de sa pratique ultérieure. Après Paul Moure, attentif à la pathologie artérielle, il fut élève de Charles Lenormant, à la culture pathologique immense. Il y rencontra Pierre Wilmoth et se lia d'une profonde amitié avec Jean Patel. Puis il fut élève de Christophe Ménégaux, qui l'intéressa à la pathologie des membres, aux fractures, puis de Maurice Chevassu, pour une année entière d'urologie, " par contrat ". Le séjour chez René Toupet le marqua profondément. Dans cette école de chirurgie, la discipline du geste, issue de la médecine opératoire de Farabeuf, réglait les opérations de manière souveraine. Auprès de Raymond Grégoire, l'importance des fondements anatomiques du choix de la voie d'abord, qui rend l'acte aisé et rapide, était démontrée chaque jour. Enfin, chez Louis Michon, une vision nouvelle de la pathologie urinaire était illustrée par la finesse sémiologique.
À la Faculté, élève d'André Hovelacque, de Henri Rouvière, d'Eugène Olivier, il fut nommé Prosecteur en 1938. Les " anciens " se souviennent encore de la qualité de ses démonstrations et de ses dessins (Gabriel Richet).
L'obtention de la Médaille d'or de l'Internat en 1938, sur un mémoire consacré à L'Énervation sinu-carotidienne, étude anatomique et physiologique (Thèse, Paris, 1938), lui permit d'être l'élève d'Antonin Gosset, où la rigueur des opérations réglées était élevée à la hauteur d'un culte, et enfin d'Henri Mondor. Il rencontra là André Sicard et noua une amitié qui ne se démentît jamais.
Après le dramatique entracte de la guerre de 1939-1940 à l'H.O.E., l'exode et la défaite, il revint chez Mondor. Tout a été dit et écrit sur Henri Mondor, tant fut grand le prestige du clinicien, du chirurgien, de l'homme de Lettres. Ce n'est pas son moindre mérite que d'avoir attiré dans son Service une pléiade d'élèves qui compte la plupart de ceux qui devinrent les chirurgiens les plus éminents de la deuxième moitié du XXe siècle. Encadrés par Lucien Léger et par Claude Olivier, ils y reçurent, du Maître comme de ses adjoints, l'exemple de la critique clinique, de la documentation étayée et le goût du langage précis et limpide. Ce fut sa véritable maison d'attachement. Nommé chirurgien des Hôpitaux de Paris en 1944, et professeur agrégé en 1946, il y demeura jusqu'à sa nomination de chef de service à l'Hôpital Inter-Communal de Créteil d'abord, puis à l'Hôpital Lariboisière ensuite.
En 1955, il est élu professeur de technique chirurgicale et de chirurgie expérimentale, et en 1960 il est élu à la chaire de clinique chirurgicale de l'Hôpital Cochin. Il l'animera jusqu'à son accession à l'Honorariat en 1980. À ses côtés, ses adjoints et assistants contribueront au rayonnement de cette grande école, Philippe Detrie, Claude Frileux, Jean-Claude Patel, Michel Prémont, Jean-Pierre Lenriot, et enfin Yves Chapuis qui lui succédera.

L'œuvre scientifique

Les étapes ainsi résumées de la carrière de Lucien Léger ne constituent que le cadre hospitalier et universitaire de son activité. Il nous faut maintenant évoquer son œuvre scientifique, et les fonctions qu'il a en outre assumées. Partagé entre le vertige de plusieurs centaines de publications, toutes du plus haut niveau, et la difficulté du choix des plus représentatives, le sentiment d'une inaccessible gageure s'empare de l'analyste. Une certitude apparaît : de nombreux travaux importants ne pourront trouver place dans un éloge trop bref. L'espoir n'est que de donner un reflet, et qu'il soit exact.
Les travaux de Lucien Léger sont dominés par la pathologie pancréatique et l'hypertension portale.
Du pancréas il étudia la pancréatite aiguë hémorragique et nécrosante. Sur l'animal, il l'expérimenta avec le professeur Marcenac de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, en la provoquant par hypertension ductale. Il chercha, par scintigraphie à la séléno-méthionine, à en évaluer l'extension, il insista sur les lésions péri-pancréatiques, sur les pseudo-kystes dont il recueillit 115 cas en 1977. Il chercha à agir sur l'hypertension intra-ductale par drainage transpapillaire du canal de Wirsung (1952), par sphinctérotomie oddienne chirurgicale puis endoscopique, il en rapporta nombre d'observations et les discuta à l'académie de Chirurgie. Plus récemment, le diagnostic et le traitement endoscopique des pseudo-kystes (1982), le rôle et le traitement du pancréas divisum confirmèrent l'intérêt constant porté à cette pathologie.
Il analysa les difficultés diagnostiques des pancréatites chroniques. Une mention spéciale doit être réservée à la pancréatographie. Il en a été l'initiateur en 1952, en per-opératoire d'abord, rétrograde ou directe sur canal de Wirsung dilaté, puis, plus récemment, par voie endoscopique : c'est la cholangio-pancréatographie-rétrograde-endoscopique, dont il a débattu des indications, de l'intérêt et des risques. Il avait précédemment montré que cet examen per-opératoire permet de choisir une splanchnicectomie d'attente, pour qu'une dilatation progressive du Wirsung augmente les chances de succès d'une anastomose wirsungo-jéjunale. Il a étudié les lithiases du Wirsung avec Philippe Détrie, en 1961, les cancers survenant sur pancréatite chronique, la difficulté du diagnostic et les écueils aggravés de l'exérèse, les hypertensions portales segmentaires d'origine pancréatique et leurs hémorragies, etc.. . Une part notable de son attention a été accordée aux tumeurs sécrétantes du pancréas, et aux difficultés du diagnostic de la cause et du mécanisme des hypoglycémies pancréatiques, les carcinômes langerhansiens avec Michel Prémont, en 1960.
La pancréatectomie comme traitement radical du cancer du pancréas a été l'objet du Rapport au Congrès de l'Association Française de Chirurgie, en 1949. Rédigé avec Jacques Bréhant, d'une documentation exhaustive, les nombreux aspects de ces opérations et les nombreuses solutions de reconstruction imaginées dans le monde y sont illustrées. Une monographie en est issue.
L'hypertension portale a été un autre sujet majeur de son œuvre. Les étapes, nombreuses, expérimentales d'abord, sur le chien, avec Marcenac, afin de provoquer une hypertension portale ou pour éprouver les variétés d'anastomoses entre les systèmes porte et cave, jusqu'au Rapport au Congrès de l'Association Française de Chirurgie en 1965, avec Pierre Marion. Tous les aspects de cette hypertension ont été étudiés en partant de l'analyse de la physio-pathologie. Et les éléments de ces aspects sont : l'histologie, la spléno-portographie (avec Gally, Arvey, Oudot et Auvert), la spléno-manométrie, l'interprétation du cathétérisme libre ou bloqué des veines sus-hépatiques, l'artériographie hépatique. Les formes segmentaires, les étiologies moins fréquentes, toutes les tentatives thérapeutiques, des anastomoses diverses (avec Michel Pémont) à la transposition thoracique de la rate, aux trans-sections, à la sclérose des varices oesophagiennes (247 observations), tout ce qui a concerné l'hypertension portale a été rapporté, étudié, discuté au fil de l'évolution des conceptions. De ce sujet, il a tout dit et tout écrit, comme l'a souligné Jean Baumann. Nous n'avons pu que l'évoquer ici.
Il nous faut en effet mentionner d'autres questions, tant son intérêt s'étendait à toute la pathologie.
Le risque majeur, incontrôlé, d'embolies pulmonaires post-opératoires lui était inacceptable. Il a donc étudié leur origine, les thromboses veineuses profondes et les formes anatomo-cliniques des phlébites ; il en a rapporté les premiers essais de traitement réel : s'opposer à l'hypercoagulabilité, par les coumariniques à cette époque, et à la migration des caillots par les ligatures veineuses (1946). Pour la menace majeure d'embolie pulmonaire dans les formes itératives, il a défendu le recours à la ligature de la veine cave inférieure avec Jacque Oudot, avec Claude Frileux (1951), ainsi que dans les thrombo-phlébites suppurées pelviennes, avec Jean Natali. Dans de nombreuses publications, il a exposé son expérience et rapporté celles de nombreux auteurs. La phlébographie a été l'objet de descriptions des techniques, des indications et de la valeur sémiologique avec Claude Frileux (1950). Il a été un des pionniers de la lutte contre les embolies. Une monographie a été consacrée à l'ensemble de ces études.
La pathologie artérielle a aussi retenu son attention. Si l'influence de Paul Moure est peut-être réelle bien que lointaine, c'est plutôt l'anti-coagulothérapie qui l'a conduit à en évaluer l'efficacité au long cours chez les artéritiques ou encore à étudier avec Georges Cerbonnet les méga-dolicho-artères. Il a expérimenté et utilisé en 1958 les prothèses artérielles en fibres tressées.
Les nombreux travaux qu'il a consacrés à la pathologie du corpuscule carotidien après sa Thèse viennent alors à l'esprit. Commencées avec Wilmoth, ces études se sont étendues de 1939 à 1942, envisageant tous les aspects des tumeurs du corpuscule carotidien, le retentissement de leur excitation, l'éventualité de l'expression d'une enzyme, les techniques et résultats de l'énervation.
Résolument pathologiste de culture générale, il ne délaisse pas la pathologie ostéo-articulaire. Il publie des observations d'osteïte fibro-géodique et de tumeurs parathyroïdiennes, de syndromes d'Albright, de Milkman, etc.. . Deux titres sont surtout à retenir. Le granulôme éosinophile, objet de plusieurs travaux, et surtout les entorses. Il en recueillera de nombreuses observations, expérimentera, défendra l'arthrographie et montrera que les entorses graves correspondent à une lésion ligamentaire réelle, objective : étirement, déchirure ou rupture. Une monographie, parue en 1945, publiée avec Claude Olivier, rassemblera et affirmera ces faits. Nous reviendrons sur la diatribe soutenue à ce propos.
Les années passant, son enthousiasme pour l'innovation ne faiblit pas, puisqu'en 1958, l'apparition récente des prothèses acrylique des Judet, Robert et Henri, lui offre l'occasion de transformer le devenir des fractures du col du fémur par une opération tout à la fois rapide et efficace ; il en publie 70 cas, chiffre élevé à ce moment. Avec Jean-Paul Binet, il soutient l'intérêt de la création d'une banque d'os, dont André Sicard venait de montrer la grande utilité. Il faut aussi souligner le caractère novateur et rationnel de son raisonnement en mentionnant la défense de l'anesthésie locale dans les fractures de côte. La menace de l'atélectasie pulmonaire ne vient-elle pas de la restriction antalgique de la ventilation ?
Plus proche de son domaine chirurgical habituel, on ne peut passer sous silence, et malheureusement se borner à citer seulement, les travaux de Lucien Léger sur la chirurgie des surrénales, le phéochromocytôme, la chirurgie aortique, l'éventualité de l'évolution primitive juxta-aortique d'un séminôme avec Philippe Monod-Broca (1962), l'irrigation-dialyse des péritonites, les carcinoïdes sécrétants, les anneaux œsophagiens de Schatzki (1974) et les débats qu'ils ont suscités, la chirurgie de l'obésité, les ulcérations gastriques aiguës après absorption de chlorure de potassium avec Jean-Pierre Lenriot, la réfrigération gastrique modérée avec Jean-Claude Patel (60 cas), l'embolisation artérielle dans les hémorragies gastriques, les tumeurs myxoïdes, le foie de Curshman, le traitement de la lithiase intra-hépatique, et enfin plus récemment avec Liguory, le traitement endoscopique de la lithiase de la voie biliaire principale.
Les articles consacrés à la technique opératoire ont été nombreux. Il faut noter l'étude expérimentale des surjets en un plan extra-muqueux - 40 lapins - et 101 applications cliniques, la description et la défense de la thoraco-phréno-laparotomie droite dans la chirurgie du foie, et surtout l'intérêt aussitôt porté aux hépatectomies majeures, ainsi que son souci de l'avenir des greffes de foie, après expérimentation, avec Yves Chapuis. Il appartiendra à ce dernier d'en assumer le développement à Cochin même, avec le succès que l'on sait.

L'enseignement

En fait l'adhésion étroite à l'évolution scientifique va de pair avec la diffusion des connaissances, avec l'enseignement. Très tôt il montre cette aptitude par l'édition, ronéotypée à l'époque, de " questions d'internat " modèle de réponse à la question du Jury. Il étend, renouvelle et perfectionne le " dossier " de Jean Blanquine (promotion 1929), en faveur avant la guerre de 1939. Il y montre les qualités essentielles qu'on retrouvera toujours dans son style de rédaction : concision, clarté, exactitude des termes. Dix années plus tard, les " questions " de Léger figuraient encore dans les documents que les candidats de caractère archiviste conservaient avec attention au-dessous des strates plus récentes. Il va développer ce rayonnement avec l'expansion de sa carrière. La publication en 1964 de la " Sémiologie chirurgicale " en est le prolongement naturel. Dans les comités de rédaction de la presse médicale du journal de chirurgie, puis co-directeur avec Jean Patel, Directeur enfin après la mort prématurée de celui-ci, les Éditions Masson recevront une part importante de son activité. La publication collective du Traité de technique chirurgicale en 1967, également avec Jean Patel, en sera une œuvre notable. Il s'attachera personnellement à la chirurgie de pancréas et à la chirurgie de l'hypertension portale, volumes XII et XIII. Élu conseiller de l'Ordre National des Médecins, puis vice-président de 1975 à 1983, il se consacra personnellement à la 3e Section, en charge de l'enseignement et de la formation. Président du Comité Inter-Ministériel Audio-visuel Santé, dès le début des années soixante-dix, il m'appela à ses côtés. Dans l'Association pour l'Enseignement Médical à la Télévision, il dirigea la production d'une vingtaine de films. En dépit d'un succès indéniable, ce cycle de formation ne résista pas au coût de l'ouverture de l'antenne de télévision avant l'allumage destiné au public.
L'attention, portée à la formation au cours des études, a donné lieu à plusieurs textes révélateurs de sa pensée. " Le problème posé s'applique à l'intégralité du système de formation des cadres " (Leçon inaugurale, 1960). Il a jugé l'Externat le mode de sélection le moins injuste. "… le nombre élevé de places offertes, la multiplicité des questions posées… assurent un recrutement d'excellente qualité " (ibid.). Il a commenté sa disparition dans son mémorable " Requiem pour une Externe " supl. au n° 32 de la Presse Médicale, 31 août-2 septembre 1968). Pour l'Internat, il note " qu'il prête déjà plus à discussion car il constitue pour beaucoup un facteur de spécialisation dont le choix est laissé au libre arbitre de chacun des élus. " (Leçon inaugurale), mais plus loin " l'Internat constituera le cadre de la spécialité en médecine générale, et l'ancien interne des hôpitaux reprendra le rôle de Consultant, disputé par les détenteurs de Certificat. ". Cependant " à côté de l'Internat qui vise à une instruction pragmatique, la nécessité de leçons semi-théoriques n'apparaît pas contestable. " Il a créé le Certificat d'Études Spéciales en Chirurgie. Il s'agissait dans son esprit d'une première étape. Il avait été acquis à l'idée de René Toupet et il milita pour une école de chirurgie véritable, " articulée avec les laboratoires de pathologie, d'anatomie normale et pathologique, et avec l'enseignement clinique dispensé dans les hôpitaux ". (Leçon inaugurale)... , parce que " La Chirurgie n'est plus seulement la culture du geste, mais la synthèse d'une série de connaissances d'une complexité croissante " (ibid.). L'opérateur doit aussi " savoir interpréter le fouillis d'appareillages complexes, et il demeure encore le Maître après Dieu, avec tout ce que cette souveraineté comporte de responsabilités. Il ne peut utilement diriger son équipe que s'il est capable de discuter avec ses collaborateurs de toutes disciplines. La culture du chirurgien devrait être infinie " (ibid.). Cette limite idéale le conduira d'ailleurs, en tant que vice-président de l'Ordre National des Médecins, à une réflexion générale plus pragmatique sur " La responsabilité médicale et la responsabilité partagée en matière d'interventions chirurgicales " (Académie de Médecine, 26 janvier 1982). La disponibilité totale qui était la sienne l'entraînait à s'attacher à toute innovation, à tout sujet qui lui semblait digne d'intérêt, à l'étudier et à le faire étudier activement par tel ou tel de ses collaborateurs.

Les aptitudes et les dons

Une telle activité protéiforme devait être soutenue par plusieurs qualités indispensables. Un talent littéraire, qu'il n'est sans doute pas vain de rapprocher de sa parenté avec l'élégant poète et diplomate Alexis Saint-Léger, Léger, plus connu et Prix Nobel sous son nom de plume de Saint-John Perse : Lucien Léger était son neveu. Une vigueur de polémiste, toujours en éveil. On se souvient des affrontements au sujet de la pathogénie des entorses, où René Leriche voyait une prédominance de phénomènes neuro-vaso-moteurs et lui montrait la réalité de lésions ligamentaires organiques. Les pancréatites, la sphinctérotomie lui fournissaient autant d'occasions de pugnacité. Il n'était pas aisé d'esquiver la logique des déductions, la rigueur du raisonnement. Cependant, il savait interrompre le débat, atténuer brusquement l'affrontement, et, d'un brin de théâtre, raviver la cordialité…, sans rien céder ! La tribune de l'Académie de Chirurgie, qu'il présida en 1979, et de l'Académie de Médecine lui donnèrent le champ de démonstration de ces joutes, toujours suivies avec attention et amusement parfois.
Enfin, tant d'activité était sous-tendue par un travail incessant qu'il s'imposait sans effort apparent, comme allant de soi, et où il entraînait sans relâche tout son entourage, ses collaborateurs. Leurs travaux reposaient sur une documentation étendue et scrupuleuse, dont il exigeait instamment la communication dans le délai le plus court. Ainsi, clarté, rigueur, érudition, chacun de ses écrits témoignent-ils de l'État de l'Art lors de leur publication.

La salle d'opération

L'activité opératoire proprement dite devait s'intégrer dans un emploi du temps strictement organisé. Formé dans l'école de René Toupet, dans celle d'Antonin Gosset, il avait conservé l'économie du geste, l'efficacité du moindre d'entre eux, la précision de la voie d'abord, issues de l'anatomie et de la médecine opératoire, la stricte ordonnance des instruments et du champ opératoire ; de Raymond Grégoire, la notion du plus court chemin et de l'essentiel de l'acte, sans digressions. La chirurgie réglée se déroulait ainsi par une stimulation constante de tous les acteurs de l'équipe. La rencontre d'un obstacle imprévu, l'obligation d'une modification du plan habituel de l'opération, d'une extension de l'intervention, mettait en valeur la cohésion de l'équipe et la contribution active de chacun pour conserver le cadre imparti. Le dévouement et la compétence de son anesthésiste, Monique Lande, s'adaptaient stoïquement à ces circonstances tendues. L'attention portée aux suites opératoires montrait le même souci d'engagement constant de chacun : surveillance, rapport immédiat au Patron sur la moindre anomalie et disponibilité immédiate si l'incident nécessitait examen ou réintervention, quelle que soit l'heure ou le programme engagé ailleurs.

La vie quotidienne

Peu d'existences ont été aussi exclusivement consacrées à la chirurgie. En activité soutenue de 6 heures 30 à 23 heures, lisant, dictant au besoin au cours des repas. Sur son chevet, un bloc-notes prêt à recueillir une pensée surgie de quelque insomnie. Il a associé ses plus proches, famille, secrétaires, collaborateurs de toutes disciplines, à l'élaboration d'une tâche d'une étendue exceptionnelle. La seule distraction qu'il s'accordait était la visite de quelque galerie de tableaux, de quelque musée le dimanche après-midi pendant une heure, parfois une heure et demi. Les congrès étaient studieux, avec la courte parenthèse du musée local. Les vacances étaient studieuses, accompagnées d'une valise dévolue à l'achèvement des travaux en cours.

Tel qu'en lui même enfin

Il était membre de l'Académie Nationale de Médecine, membre et ancien président de l'Académie Nationale de Chirurgie, de nombreuses sociétés savantes françaises et étrangères, Fellow de l'American College of Surgeons, etc.. . Il était Commandeur dans l'Ordre de la Légion d'Honneur et Commandeur des Palmes Académiques. Admis à l'Honorariat des Hôpitaux de Paris le 1er octobre 1980, il cessa son activité au début des années quatre-vingt. Alors, le corps trahissant la lucidité conservée de l'esprit, commença de longues années où ceux qui l'admiraient, ceux qu'il s'était attachés, ceux qui l'aimaient, respectueusement, se recueillaient…
Lucien Léger est mort le 2 juillet 1999.
Parmi les nombreux anciens internes dont notre association peut se prévaloir, il en est peu dont les titres égalent ceux de Lucien Léger. Un regard d'ensemble sur cette carrière prodigieuse éveille une remarque qui le situe dans l'histoire de la médecine. Il a été formé au sein de la médecine d'entre les deux guerres, lorsque la chirurgie était freinée par la toxicité des anesthésies générales de longue durée, par l'utilisation balbutiante du remplacement des liquides organiques épanchés, sang et solutions diverses. Le succès opératoire tenait encore à la rapidité, fille de l'exactitude anatomique. Il a vécu, accompagné au plus près, et bien souvent dépassé en pionnier, des innovations incessantes, sur un rythme inégalé jusqu'alors. Il représente à la perfection l'aventure chirurgicale du milieu du XXe siècle.
Que Madame Lucien Léger, associée attentive et dévouée à tant de travail, trouve ici l'expression de notre respect et de l'admiration de L'Association des Anciens Internes pour le maître disparu, et qu'elle veuille bien être notre interprète auprès de son fils, Maître Lucien-Alexis Léger, juriste et Magistrat éminent, et auprès de sa fille, Docteur Françoise Aubène-Léger, notre collègue, spécialisée en médecine nucléaire, et auprès de ses petits-enfants.
La mémoire de Lucien Léger est honorée et sera conservée par ses anciens collègues.

Michel Arsac
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