Jacques FORESTIER (1890-1978)
Né en 1890, mort en 1978, Jacques FORESTIER a été le plus grand rhumatologue de sa génération. Au congrès international de rhumatologie en 1977 à San Francisco où il était présent, un hommage solennel lui a été rendu à la séance d'inauguration devant tous les participants.
Et cependant il n'était ni professeur ni médecin des hôpitaux. Après son Internat en médecine il est devenu médecin thermal à Aix-les-Bains, où son père Henri FORESTIER était déjà installé. Sa vie a été décrite dans un remarquable ouvrage paru en 1988, sous la plume d'un de ses élèves Jacques ARLET, professeur de rhumatologie à Toulouse, auquel je ferai de larges emprunts en y ajoutant quelques souvenirs personnels. Le titre en était Jacques FORESTIER, des stades aux thermes (PRIVAT éditions, 132 pages, 1988).
LE SPORTIF
Ce médecin a été en effet un grand sportif pendant ses études et même ensuite dans sa vie professionnelle. Il a pratiqué avec passion l'aviron, le canoë, la voile seul ou en équipe. Il a été au début de ce siècle un pionnier dans le ski alpin, champion de descente sur les pentes du mont Revard qui domine Aix les bains. Il a pratiqué la boxe anglaise au temps où celle-ci a détrôné la boxe française. Il s'est distingué surtout dans l'équipe de France de rugby. Médaillé d'argent aux jeux Olympiques d'Anvers, il a été sélectionné dans l'équipe de France en vue du Tournoi des cinq nations…
LE CHERCHEUR, Les découvertes
Après la guerre de 14-18 durant laquelle il s'est distingué comme médecin d'une unité de zouaves, il a commencé son Internat à l'Assistance Publique de Paris. À partir d'une idée suggérée par son maître J.A.SICARD, professeur de neurologie, il a mis au point le radiodiagnostic par le lipiodol. Il a expérimenté avec soin sur l'animal l'injection d'une huile iodée (fabriquée par GUERBET et LAFAY) opaque aux rayons X permettant de visualiser certaines cavités de l'organisme. Utilisée pour la première fois chez l'homme, la méthode a permis un repérage précis de compression médullaire et a été utilisée par tous les neurochirurgiens jusqu'à une date récente, remplacée alors par les techniques du scanner et de l'IRM. FORESTIER l'applique ensuite au radiodiagnostic de l'appareil bronchique puis à l'urètre, à l'utérus, aux veines et au système artériel. Invité aux États-Unis en 1925 par la Société Américaine de Radiologie, le " docteur lipiodol " obtint un succès considérable. Pendant les trois mois de son séjour, il présente sa méthode dans la plupart des centres médicaux de l'Amérique du Nord. De son côté, il est impressionné par l'organisation et les méthodes de travail américaines. Il décide de s'en inspirer lorsque, après avoir hésité, il s'installe à Aix-les-bains pour prendre la succession de son père, médecin thermal réputé. Commence alors une activité intense consacrée aux affections rhumatismales : sémiologie rigoureuse, classement, évolution thérapeutique grâce au traitement thermal mais aussi à côté ou en dehors de celui-ci. Une grande confusion régnait alors dans ce domaine. Les découvertes vont suivre et se succéder après la Première Guerre, pendant et après la Deuxième Guerre.
Le 1er mars 1929 le traitement de la polyarthrite rhumatoïde par les sels d'or à partir des quinze premiers malades de sa série est présenté à la tribune de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris, communication historique à laquelle fait suite un article confirmatif dans LANCET (27 février 1932). C'est la première fois qu'un traitement se montre efficace pour améliorer nettement les signes et l'évolution dans une maladielongue, douloureuse et invalidante. La méthode se généralise en Europe, plus difficilement aux États-Unis en raison des accidents cutanés et rénaux possibles. Elle a été utilisée largement dans le monde jusqu'à la fin des années quatre-vingt ; supplantée peu à peu par le traitement corticoïde symptomatique et le méthotrexate après essai d'autres substances (antipaludéens, pénicillamine, cyclosporine, etc.).
En 1931, dans une série d'articles parus dans La Presse Médicale, cosignés par F. COSTE et LACAPÈRE mais inspirés par lui, il distingue clairement et pour la première fois en particulier grâce à l'apport de la vitesse de sédimentation globulaire, les rhumatismes inflammatoires qui comprennent les arthrites et les rhumatismes dégénératifs auxquels convient le mot allemand " d'arthroses ".
En 1934 il montre que la clef du diagnostic précoce de la spondylarthrite ankylosante est dans la radiographie des sacro-iliaques.
En 1953, il établit avec ROTES QUEROL (de Barcelone) l'existence dans la pathologie du rachis, à côté de l'arthrose et de la dégénérescence discale, de l'hyperostose sénile observée volontiers chez des sujets athlétiques, qui enraidit certes mais qui n'est pas douloureuse et n'appelle pas de traitement. Dans le monde rhumatologique, c'est la " maladie de Forestier ".
En 1955, c'est la description à partir de vingt-cinq observations suivies avec un recul important de la pseudo-polyarthrite rhizomélique (polymyalgia reumatica) que certains de ses élèves ont appelé la deuxième maladie de FORESTIER. - maladie singulière, inflammatoire, des sujets âgés, apparentée à l'artérite temporale de HORTON.
D'autres publications se sont ajoutées à ses travaux qui ont situé Jacques FORESTIER sans contestation possible et au-delà de la découverte du radiolipiodol, comme le français le plus éminent et mondialement reconnu dans notre discipline.
LE CLINICIEN et le pédagogue
Jacques FORESTIER était un grand clinicien - excellent anatomiste aussi - curieux et attiré par les faits nouveaux, méfiant vis-à-vis des doctrines officielles. Son contact avec les malades était immédiat et chaleureux. Le patient était appelé par son nom, son prénom même, et s'il le fallait dans sa langue, en anglais ou en allemand, qu'il parlait couramment. La place de l'interrogatoire était primordiale, strictement délimitée. Tout d'abord, le fait principal qui avait conduit à consulter, symptôme ressenti ou constaté par l'intéressé en un point du corps qu'il devait designer lui-même avec son doigt. Aussitôt après, venaient les questions sur le début et l'évolution dans le temps de ce symptôme, les diagnostics portés par les précédents médecins consultés, les traitements effectués. Ensuite et seulement après les questions sur l'état actuel, les modalités de la douleur et de la gêne qui en résulte. Enfin venait le temps de l'examen manuel, à la recherche des signes, toujours effectué sur un patient déshabillé : examen complet portant aussi bien sur la zone mise en cause que sur les autres structures même si celles-ci semblaient normales. L'examen des documents radiologiques et biologiques était toujours effectué en dernier. Il devait être rapide pour ne pas interrompre le contact établi par l'examinateur ; si le dossier de ces examens était volumineux, il était confié au médecin pour être étudié plus tard. La conclusion venait ensuite en quelques mots simples pour préparer la prescription détaillée, explicitée souvent par un document imprimé indiquant les dates, les heures, le nombre des actes thérapeutiques qui devaientt être effectués avant la prochaine consultation.
Rien que de très banal, diront certains en lisant les lignes ci-dessus. Oui… mais tout ce qui précède était écrit, consigné sur des fiches cartonnées, identiques mais de couleur différente pour les résultats de l'interrogatoire et de l'examen, pour le compte rendu radiologique et pour les traitements thermaux ou non. Jacques FORESTIER travaillait avec deux cabinets de consultation et passait de l'un à l'autre. Dans chacun, un assistant préparait les fiches en interrogeant et en examinant lui-même le consultant et, après l'arrivée du " patron ", était chargé de noter à nouveau en les corrigeant les résultats de son examen. Ces résultats étaient exprimés de façon standardisée, sans phrase inutile, mesurés au centimètre, en degrés pour les limitations du jeu articulaire, appréciées toujours de la même manière pendant des décennies. FORESTIER vérifiait lui-même souvent si la fiche était remplie comme il l'exigeait et s'il n'y avait pas de " blancs ". Le processus d'examen était identique lorsque le malade était revu dix ou vingt jours après, pendant le séjour à Aix-les-Bains, et pendant les années à venir .
Pour avoir été un de ses assistants durant plusieurs semaines pendant la saison thermale, je puis attester que ces journées plein-temps commençant à 7 heures du matin et se terminant à 21 heures et le plus souvent au-delà avec de brèves interruptions valaient bien un semestre d'Internat ! En travaillant avec lui, en le voyant faire et en appliquant sa méthode faite de rigueur et de répétition, en se faisant critiquer par lui pour le moindre détail dans l'exécution (mais toujours de façon bienveillante), on réalisait qu'il n'y a pas d'autre voie pour former, parmi les étudiants en médecine et surtout les internes, ceux qui sont volontaires pour exercer la médecine clinique, celle qui soigne et qui prend en charge un individu. Cette médecine est différente de celle qui s'applique à des individus en groupe (santé publique, médecine du travail ou du sport, médecine scolaire) et pour laquelle le passage obligatoire par un Internat clinique de quatre ans, issu d'un concours commun n'est pas justifié…, sauf à appeler " internes " tous les étudiants effectuant leur troisième cycle d'études médicales !
Jacques Forestier était un pédagogue par l'exemple qu'il donnait mais ses connaissances théoriques qu'il devait, n'a-t-il pas dit, à la préparation de l'Internat et à l'esprit critique qu'elle inculque, étaient considérables. Certes, il n'était pas un orateur et il ne faisait pas d'exposés théoriques, se contentant de présenter des faits précis tirés de son expérience servie par un rare don d'observation.
Et, pour terminer, citons son biographe Jacques ARLET : " Jacques FORESTIER faisait avec un égal bonheur trois choses à la fois : soigner, enseigner, chercher, avant la loi Robert DEBRÉ et sans les universités. "
Louis Auquier
promotion 1940
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